L'intérêt
de l'enfant : alibi, piège ou nécessité ?
S'il
est une notion qui est souvent brandie comme un étendard par
l'un et l'autre parent, par les avocats, les juges, les experts, les
médiateurs, c'est bien cette notion de l'Intérêt
de l'Enfant. Depuis une vingtaine d'années le sort des enfants
n'est plus décidé en fonction de la " faute "
conjugale mais plutôt en fonction de l'Intérêt de
l'Enfant.
Cette
idée-force me paraît agir comme un phare qui soit éclaire
et élargit les horizons, soit éblouit ou brûle les
ailes de qui est trop fasciné par lui.
Une
chose me paraît claire : la préoccupation, le souci de
l'intérêt de l'enfant constitue un réel progrès
dans l'évolution de notre société aux valeurs mal
assurées.
Par
contre la traduction dans les actes de cette idée-force se révèle
assez délicate et problématique.
Peut-on
définir l'intérêt de l'enfant ?
Sur
le plan conceptuel, il paraît relativement aisé de faire
la distinction entre d'une part l'intérêt fondamental de
l'enfant, dont les effets sont nécessairement attendus dans un
avenir éloigné, à savoir : l'épanouissement,
l'autonomie, la réussite sociale, professionnelle, affective,
sexuelle, l'évolution spirituelle, etc., et d'autre part les
envies et les besoins immédiats. Une fois posés ces attentes
et ces objectifs généraux, il est souvent malaisé
de leur donner un contenu précis (ex. : qu'entend-on par évolution
spirituelle ?).
Si
nous posons comme critère d'intérêt majeur de l'enfant
" ce qui est de nature à favoriser une saine évolution
vers l'âge adulte ", il paraît très difficile,
voire dans certains cas impossible d'arriver à un consensus quant
à la hiérarchie des valeurs à développer
(ex. : la sécurité affective prime-t-elle sur l'autonomie
?). Le poids de ces valeurs varie aussi d'un enfant à l'autre
d'une même fratrie (ex. : un enfant est assez autonome, son frère
a besoin d'être plus encadré). Cette hiérarchie
est éminemment tributaire de la " culture " et de l'histoire
personnelle des éducateurs. Même s'il y a accord sur les
valeurs, encore faut-il se mettre d'accord sur les moyens les plus adéquats
pour les réaliser (ex. : quelle école, quel système
d'hébergement ?). La pertinence de la décision dépend
aussi de la qualité de l'information, de sa source, des préjugés
ambiants, etc. (par exemple concernant la " valeur " de telle
école, sa réputation
).
Certains
auteurs ont cru pouvoir établir de manière assez catégorique
la hiérarchie des valeurs à prendre en compte vis-à-vis
des enfants d'une manière générale, dans tous les
cas de séparation. Citons en particulier l'ouvrage célèbre
d'Anna Freud, Joseph Goldstein et Albert J. Solnit qui, pendant quelque
temps, a fortement influencé les décisions des experts
et des juges : Beyond The Interest of the Child ( ). Dans cet ouvrage,
les auteurs défendent fermement l'idée que le besoin de
continuité et de stabilité de l'enfant sur le plan physique,
social et affectif est à prendre en considération avant
tout autre critère. Cela les amenait à considérer
par exemple que pour l'enfant, rester dans le même lieu de vie
est plus important que de garder des liens étroits avec le parent
non gardien. Autre conséquence : le parent " réel
" est le parent " psychologique ", c'est-à-dire
celui qui partage de fait le vécu de l'enfant, même s'il
n'a avec lui aucun lien biologique.
Ces
auteurs ont donc cru pouvoir généraliser, voire imposer
leur hiérarchie des valeurs à tous les cas de séparation,
désignant en toute quiétude au nom d'une conception "
absolutiste " de l'Intérêt de l'Enfant quel parent
devait s'effacer au détriment de l'autre ou décidant s'il
était opportun qu'un beau-parent prenne la place du parent de
même sexe, psychologiquement voire légalement.
Il
me paraît donc clair que, même si elle émane de personnes
éclairées, sensées, dégagées des
tourments émotionnels, la notion d'intérêt d'un
enfant " X " est impossible à objectiver (vu la variété
et la relativité des valeurs) et à vérifier (effets
attendus et supposés dans le futur).
Malgré
ce nuage d'incertitudes, on est en droit de se poser la question : Qui
est le plus qualifié pour tenter de définir l'intérêt
de l'enfant ?
L'enfant
lui-même ? Les parents ? Le juge ? Les experts ? Les avocats ?
Le médiateur ?
L'enfant
Nous
vivons une époque où l'enfant est placé au centre
de la vie familiale. Le poids des traditions et de l'autorité
paternelle (et même parentale) a tendance à s'effacer devant
la primauté du respect de l'enfant. Ce changement de centre de
gravité marque une évolution positive de notre société
à de nombreux égards.
Ce
recentrage sur l'enfant peut-il aller jusqu'à attendre de celui-ci
qu'il nous éclaire lui-même sur son " intérêt
" en cas de séparation des parents ? Du fait de la séparation,
l'enfant est déjà au cur du conflit. Est-ce le respecter
que de l'y plonger encore plus, en le mettant en position de juge ou
de témoin privilégié ?
À
mon avis, l'enfant est respecté si on l'implique juste assez
pour qu'il puisse donner un sens à ce qui lui arrive, pour calmer
son angoisse sans trahir la vérité. Mais ne l'impliquons
pas plus que nécessaire. Je crois que l'enfant a besoin de la
dose de responsabilité correspondant à son âge et
à sa maturité : il a donc aussi droit à une bonne
dose d'irresponsabilité et de protection.
Je
tiens au passage à exprimer - à la suite d'Irène
Théry ( ) - ma défiance par rapport à la nouvelle
idéologie créée à partir de la Charte des
droits de l'enfant de l'O.N.U. en 1989 : tout à coup les enfants
sont apparus comme une nouvelle espèce opprimée à
côté du sexe, de la race et de la religion. Ils sont soudain
considérés non plus comme des citoyens en devenir mais
comme des citoyens à part entière ayant notamment le droit
à la liberté d'expression au même titre que les
adultes. La reconnaissance de ce droit entraîne tout naturellement
la possibilité pour un enfant d'être entendu dans le cours
de la procédure judiciaire (voire dans certains cas de prendre
son propre avocat).
Ce
droit peut être considéré comme un progrès
dans l'évolution de notre droit familial, mais la banalisation
de ce droit me paraît assez dangereuse : qu'il suffise d'imaginer
les relations " familiales " après qu'un enfant a exprimé
ouvertement un jugement sur la valeur de ses parents.
Ni
le problème de la maltraitance, ni le problème de la souffrance
des enfants du divorce ne pourra être résolu par une doctrine
qui inciterait les enfants à dénigrer les limites et les
repères et qui inciterait les parents à démissionner
un peu plus.
Dans
toute la mesure du possible, évitons d'infantiliser les parents
ou de les disqualifier en donnant un pouvoir excessif aux enfants car,
selon nous, le droit des enfants passe par le droit et la nécessité
d'avoir des parents responsables ( ).
Le
sens des responsabilités des parents qui se séparent impose
à mon avis que ceux-ci évitent de mettre leurs enfants
dans une position de " conflit de loyauté " vis-à-vis
d'eux.
De
plus, à supposer qu'il n'y ait aucun inconvénient à
laisser l'enfant exprimer son avis sur la gestion de la séparation,
il faut prendre en considération le fait qu'un enfant peut très
bien être conscient de ses besoins mais rarement de son intérêt
profond, c'est-à-dire ce qui est bon pour son évolution.
Ceci d'autant plus qu'en cas de séparation il est impliqué
dans une situation très complexe sur laquelle ses parents portent
un regard différent ou antagoniste.
Donc,
sauf cas particulier et tenant compte de l'âge, n'attendons pas
de l'enfant qu'il nous révèle lui-même explicitement
où se situe son intérêt profond dans le conflit
parental.
Les
parents
Les
parents unis ressentent parfois des difficultés à se mettre
d'accord sur le mode de vie et d'éducation le plus positif pour
leurs enfants. La plupart arrivent tout de même à un consensus
relatif.
Quant
aux parents séparés, les choses se compliquent considérablement
dans la plupart des cas.
En
effet, dans les séparations difficiles, la frustration due à
la blessure affective et narcissique, l'anxiété due à
la perte des points de repères pour le couple et vis-à-vis
des enfants entraîne quasi automatiquement dépression ou
agressivité et colère.
La
culpabilité est également presque toujours au rendez-vous.
À
cela s'ajoute le souci brûlant de ne pas perdre le lien privilégié
avec ses enfants, de garder auprès d'eux l'image d'un bon père,
d'une bonne mère.
De
son côté, la machine judiciaire qui se met en marche ne
fait qu'attiser griefs et méfiance : tout en calmant quelque
peu la culpabilité de chacun, elle place les protagonistes en
situation de légitime défense. La guerre se développe
alors d'autant plus facilement que chaque " adversaire " croit
se préserver des mauvais coups en envoyant son avocat en première
ligne, lui laissant le choix des armes.
Dans
ce tourbillon émotionnel, comment les parents peuvent-ils dissocier
leur rôle de conjoint blessé de leur rôle de parent
responsable ? Qui peut résister à la tentation de mettre
les enfants de son côté, de les convaincre de son bon droit,
voire de créer avec eux une association de victimes ?
Ma
pratique professionnelle me donne la conviction que la toute grosse
majorité des parents séparés qui affirment agir
(y compris sur le plan judiciaire) pour l'intérêt de leurs
enfants sont sincères quand ils le disent. Mais, sans toujours
le vouloir consciemment, les parents en conflit utilisent la notion
d'intérêt de l'enfant comme une arme pour mieux asseoir
leur position (en cas de conflit soft) ou atteindre et blesser "
l'autre " (en cas de conflit plus aigu).
Ajoutons
à cela la difficulté pour les parents d'éviter
l'amalgame entre le besoin du parent à l'endroit de l'enfant
et les besoins de celui-ci à l'endroit de ses parents. (Quand
quelqu'un dit : " Mon enfant a besoin de moi ", dans quelle
mesure ne veut-il pas dire : " J'ai besoin de mon enfant "
?)
L'enfant
vit le paradoxe déchirant que c'est son bonheur à lui
qui est l'enjeu du conflit : le message paradoxal que l'enfant reçoit
de ses parents pourrait être formulé comme suit : "
C'est pour ton bonheur que nous faisons ton malheur
et le nôtre.
" Difficile dans ces conditions d'oser vouloir être heureux
!
En
outre, l'enfant face à deux " vérités "
exclusives l'une de l'autre qui s'opposent devant lui est conduit à
se demander : " Qui est le méchant, qui est le fou des deux
? "
ou alors " c'est moi le méchant, le fou ?
" Ce trouble profond, l'enfant le vit très souvent sans
l'exprimer pour ne pas ajouter à la souffrance de ses parents
( ).
C'est
bien ici qu'on atteint le sommet du paradoxe concernant l'intérêt
de l'enfant : la préoccupation de l'intérêt de l'enfant
poussée à son extrême peut se retourner contre cet
intérêt même, d'une part par l'effet d'emballement
du conflit que cet " intérêt " produit, mais
aussi par le trouble profond qu'il provoque dans le chef de l'enfant.
Il
apparaît donc qu'au cur de la souffrance et du conflit,
dans les séparations difficiles, les parents ont de la peine
à définir sereinement où se situe l'intérêt
profond de leurs enfants.
Le
juge
Personnage
incarnant la maturité, la sagesse, l'impartialité, la
Justice, le juge est dès lors attendu comme celui qui, en toute
connaissance de cause, va pouvoir " trancher ", en espérant
que le préjudice sera sanctionné et l'intérêt
de l'enfant respecté au mieux.
Un
bénéfice (au moins) de l'action du juge est indéniable
: en tranchant, d'une certaine manière, il clarifie les choses
puisque les protagonistes se retrouvent devant " la chose jugée
", simple, compacte, en principe indiscutable.
Cela
contribue souvent à calmer les hostilités ouvertes sinon
les esprits. Mais il est rare que la décision entraîne
l'assentiment profond des deux parties dont l'une au moins se sentira
incomprise, bafouée. Dans ce cas débutera entre conjoints
un combat sourd, pernicieux et corrosif dont l'intensité sera
proportionnelle au sentiment d'injustice ressenti.
Dans
ce combat, les enfants sont très souvent utilisés comme
arme et comme enjeu.
La
plupart des juges, actuellement, se montrent sensibles à l'intérêt
de l'enfant mais souffrent comme tout le monde du manque de repère
pertinent pour le cerner dans chaque cas particulier.
Les
décisions du juge sont guidées entre autres par des "
directives " explicites ou implicites (qui tendent par exemple
à privilégier la continuité dans le vécu
de l'enfant, ce qui revient souvent au statu quo), ou par le système
de valeur qui lui est propre.
Lorsque
la perplexité du juge dépasse un certain seuil, il fera
appel à un expert psychosocial.
Les experts psychosociaux
Les
experts psychosociaux fournissent souvent des éléments
très éclairants pour le juge, mais il apparaît que
la complexité et l'évolution mouvante d'une famille ne
peuvent se laisser enfermer dans la " photographie " d'un
" état de la famille " vue dans les conditions quelque
peu artificielles d'une enquête, avec toutes les suspicions de
manipulation de l'enfant et de l'expert par l'entourage que l'on peut
imaginer.
De
plus, à supposer que l'expertise soit tout à fait pertinente
et " logiquement " irréfutable, elle contribue rarement
à apaiser le parent " lésé ". Bien sûr,
celui-ci a été entendu, mais il aura souvent l'impression
que ses propos n'ont pas eu le poids qu'ils méritent ou qu'ils
ont été mal interprétés.
Je
n'ai pas le temps ici de m'étendre sur l'émergence d'un
nouveau type d'expertise orientée vers une " stratégie
régulatrice " dans laquelle l'expert ne se contente pas
d'enregistrer le conflit, mais essaye de le réguler en tentant
prudemment de rapprocher les points de vue, en se présentant
plus nettement comme le garant de l'intérêt de l'enfant
et en favorisant le maintien du " couple parental ". Cette
stratégie paraît apporter " un plus " par rapport
au besoin des parents d'être compris et entendus mais n'est pas
exempte de pièges, semble-t-il. Un de ceux-ci, selon Irène
Théry (' ), est qu'elle ne produit pas vraiment un accord mais
qu'elle invite plutôt de façon pressante l'un des parents
à accepter sa défaite, au nom de l'intérêt
des enfants.
Dans
les deux types d'expertises, selon le même auteur, la conclusion
est souvent prête d'avance (le plus souvent le maintien du statu
quo). Dans cette optique, l'expertise ne servirait à la limite
qu'à mieux faire avaler la pilule au perdant désigné.
D'une manière générale (en simplifiant), on peut
estimer que les décisions des juges et les avis des experts sont
plus déterminés par des critères de bon management
de l'après-divorce que par les qualités ou mérites
intrinsèques des parents. Notons que la détresse d'un
parent qui, par exemple, perd en même temps son conjoint, ses
enfants et sa maison est souvent considérée comme un élément
défavorable pour le parent en question, selon le principe qu'un
parent " victime " a moins de chance d'être un bon parent
manager.
Les avocats
L'avocat
n'a pas pour mission de défendre les intérêts de
l'enfant, mais bien ceux de son client.
Envisageons
deux situations extrêmes
1.
Soit le client arrive avec un plan de bataille en tête et demande
à l'avocat de mettre en place les moyens les plus efficaces pour
la gagner. L'avocat n'a alors d'autre alternative que de jouer à
fond le jeu de son client ou de perdre celui-ci s'il fait mine de s'intéresser
au sort des enfants ou, pire, au sort de la partie adverse.
2. Soit à l'autre extrême, le client est un peu "
perdu " et pas spécialement agressif et frappe à
la porte de l'avocat pour demander d'être aidé et éclairé.
Dans ce cas, l'attitude, le comportement de l'avocat pourra avoir un
impact important sur l'issue de la crise familiale, impact allant soit
dans le sens d'une exaspération des conflits (en situation de
crise émotionnelle, rien n'est plus facile à installer
que la méfiance et l'agressivité), soit dans le sens de
la résolution la plus humaine possible de la crise familiale.
Il existe heureusement une minorité grossissante et agissante
d'avocats qui exercent leur profession dans ce sens. Néanmoins,
l'avocat le plus ouvert aux valeurs humaines est souvent pris lui aussi
dans une logique de culpabilisation et de compétition. À
cause des règles du jeu et de par le statut de l'avocat, il lui
est extrêmement difficile d'installer les conditions d'une vraie
communication entre les parties ( ) et impossible de laisser à
celles-ci le temps de maturation des perceptions, des croyances et des
attitudes qui seule permettrait une mutation constructive de la dynamique
" familiale ", lorsque celle-ci est fortement bousculée.
Le
médiateur
Pour
situer le rôle de la médiation par rapport à l'intérêt
de l'enfant, je pars de trois idées bien simples :
1.
L'enfant souffre de la séparation, mais bien plus encore du conflit
antérieur qui s'ajoute au conflit lié à la séparation.
2. Les parents unis arrivent toujours, vaille que vaille, à se
mettre d'accord sur les décisions à prendre concernant
leurs enfants, même si leurs systèmes de valeurs divergent
(notons que, sauf cas exceptionnel, le système judiciaire n'intervient
jamais, par exemple pour trancher la question de savoir si un enfant
doit aller à l'internat).
3. C'est le conflit et la charge émotionnelle (outre l'importance
de l'enjeu) attachés à la séparation qui empêchent
les parents de maintenir le consensus (souvent relatif mais tout de
même effectif) et qui les empêchent de pouvoir continuer.
à exercer de concert leur rôle de parents responsables.
La séparation et le conflit font souvent éclater la responsabilité
des parents, contre leur gré.
La
médiation familiale peut être vue tout simplement comme
un service proposé aux parents qui souhaitent maintenir le consensus
antérieur à la séparation pour retrouver l'exercice
optimal de leur responsabilité parentale.
Le
médiateur familial est-il mieux placé que les autres pour
pointer et défendre l'intérêt de l'enfant ?
Ma
réponse personnelle est : Non, le médiateur ne se veut
ni expert ni arbitre.
Il
tente plutôt de créer les conditions qui permettent aux
parents de définir eux-mêmes consensuellement où
se trouve l'intérêt de leurs enfants.
Cela
dit, ajoutons cependant que, depuis les débuts de la médiation,
la plupart des médiateurs (en Belgique en tout cas) s'éloignent
quelque peu du modèle défini par Irène Théry
comme le " tiers transparent " : tout en gardant le cap de
l'impartialité la plus grande possible, beaucoup de médiateurs
(dont je suis) se montrent assez actifs pour rendre plus efficace le
processus de la médiation tout en intervenant le moins possible
sur le contenu.
Ceux-ci
n'hésitent pas à intervenir de manière plus directive
1.
lorsqu'ils perçoivent que l'un des parents utilise la médiation
pour mieux manipuler l'autre, perpétuant ou amplifiant un rapport
de force qui existait avant la médiation ,
2. lorsqu'ils perçoivent clairement qu'une solution proposée
va à l'encontre de l'intérêt de l'enfant.
Ne
pensez pas pour autant que tous les médiateurs ont une idée
bien arrêtée sur ce que doit être le mode d'éducation
ou d'hébergement et qu'ils essayeraient subtilement ou non d'amener
les parents à rejoindre leurs conceptions.
Personnellement,
je m'insurge contre la tendance de certains médiateurs à
utiliser la médiation pour défendre la cause de la "
coparentalité " à tout prix et de la garde alternée.
Je
pense que la garde alternée peut être une solution positive
(je peux en témoigner pour plusieurs cas) ; je pense aussi qu'elle
peut se révéler catastrophique dans d'autres cas. (Il
existe des cas où les enfants expriment le souhait de voir à
temps égal chacun des parents plus pour leur témoigner
qu'ils les aiment autant tous les deux que par réel besoin de
les voir un temps strictement égal.)
De
même, le but affiché par certains médiateurs de
maintenir à tout prix le " couple parental " me paraît
également abusif. Je pense qu'il est bon que tout médiateur
encourage les parents à garder leurs responsabilités de
parents dans toute la mesure du possible. De là à vouloir
susciter, à tout prix le maintien du couple qui ne serait plus
conjugal mais parental, avec tout ce que cela suppose de disponibilité,
de connivence et de confiance, cela me paraît intrusif et abusif.
Laissons
aux parents le soin de trouver eux-mêmes la bonne distance à
maintenir entre eux et ne culpabilisons pas ceux qui fonctionnent plus
sainement en limitant au maximum leurs contacts.
Notons,
au passage, une question qui se pose de temps à autre : les enfants
sont-ils parfois intégrés au processus de médiation
? Certains médiateurs, dans certains pays, affirment le principe
que c'est la famille dans son ensemble qui est concernée par
la médiation et donc invitée d'office aux séances.
Pour notre part, au nom du droit de l'enfant à l'irresponsabilité
et soucieux de ne pas disqualifier les parents, notre attitude consiste
à n'inviter les enfants que dans des cas bien particuliers et
selon des modalités circonscrites et définies avec les
parents.
Par
rapport à l'intérêt de l'enfant, ce que la médiation
familiale permet c'est de :
1.
rendre aux parents eux-mêmes la gestion de leur séparation
;
2. leur permettre de rester parents malgré la rupture des liens
du couple ;
3. favoriser chez les parents un état d'esprit qui permette à
l'enfant de ne pas devoir se positionner ni comme juge, ni comme arbitre,
ni comme tampon, ni comme protecteur de ses parents ;
4. créer les conditions adéquates pour que l'enfant puisse
exprimer sa souffrance et ses doutes sans crainte de blesser ou de trahir
un de ses parents (ne pas être pris dans un " conflit de
loyauté ").
Selon
moi, il n'y a pas de mode de vie, d'éducation, d'hébergement
des enfants qui soit par essence supérieur à un autre.
En se plaçant du point de vue de l'enfant, le bon accord est
celui que ses parents auront construit avec intelligence, patience et
amour (pour lui) ( ).
Je
vois d'ici les objections qui surgissent dans la tête de beaucoup
à propos de ce mot " accord ".
Qu'entend-on
par un accord juste (en médiation) ?
Personnellement,
j'entends par un accord juste, un accord qui est ressenti comme juste
par les deux parents.
Se
pose ici la question de savoir si un accord ressenti comme juste au
moment de la médiation ne peut pas éventuellement être
ressenti comme injuste plus tard si les circonstances ou les dispositions
d'esprit ont changé (le besoin de se déculpabiliser par
rapport à l'autre, par exemple, ou d'acheter sa liberté).
C'est
pourquoi intervient, selon moi, le deuxième critère d'un
bon accord : un bon accord est un accord qui se veut durable. En d'autres
mots, un accord qui présente le minimum de probabilités
d'être ressenti comme inadéquat ou inique plus tard.
Comment
répondre à ce critère ? En donnant aux parents
le maximum d'informations adéquates et en incitant les personnes
à consulter un avocat si une proposition paraît déséquilibrée
; et en se donnant le temps de la discussion et de la réflexion
(par exemple, pour bien se représenter les conséquences
à long terme de telle proposition).
Le
souci de l'accord et du consensus signifie-t-il que le médiateur
évacue ou étouffe le conflit qui peut surgir en médiation
?
C'est
une question qui mériterait un long développement. En
résumant très fort, je dirais personnellement que le médiateur
(qui ne se veut ni thérapeute ni thérapeute de couples)
ne se donne pas pour mission d'analyser en profondeur ni de remodeler
la personnalité des gens et leur mode de fonctionnement en couple,
mais néanmoins se donne la mission d'être capable de laisser
s'exprimer un conflit et de le gérer dans la mesure où
celui-ci est un obstacle à la communication et à la négociation
présente. Si le médiateur ne fuit pas le conflit, il s'efforce
certainement d'éviter de l'alimenter.
Cela
dit, je comprends les craintes de certains que, au nom d'une conception
angélique de l'accord à tout prix, on aboutisse à
un pseudo-accord qui escamoterait des divergences fondamentales ou des
informations juridiques essentielles, ou alors qui cautionnerait un
rapport de force malsain. C'est à ce niveau, à mon avis,
que se situe la réticence ou la crainte de certains professionnels
des milieux judiciaires à l'endroit de la médiation, crainte
qui pourrait s'exprimer comme suit : " Peut-On donner un blanc-seing
à des professionnels à la compétence mal définie
et de surcroît protégés par le secret professionnel
? "
Ceci
est en effet une dérive possible de certaines médiations.
Ces
craintes ne devraient pas pour autant mettre en cause la médiation
elle-même. La médiation est une discipline jeune qui se
construit, qui construit ses règles, sa déontologie et
sa propre cohérence.
Nous
sommes parfaitement conscients que la médiation n'est pas appropriée
dans un certain nombre de situations. En cas de mauvaise foi ou de déséquilibre
flagrant dans le rapport de force entre les parents, le médiateur
doit pouvoir arrêter la médiation et conseiller aux parents
de prendre un avocat. Pour des questions " pointues " (concernant
par exemple la fiscalité, des emprunts hypothécaires,
etc.), le recours à un juriste spécialisé, à
un avocat ou à un notaire doit pouvoir être recommandé
au client.
En
résumé
Au
départ il y a l'Amour.
De l'amour naît l'Enfant.
L'amour des parents disparaît.
Restent les griefs, l'enfant
et l'amour de l'enfant.
Ici
il y a un carrefour.
Soit
les griefs ne sont pas trop intenses, un minimum de confiance est maintenu
et l'amour de l'enfant donne aux parents l'énergie et la volonté
de gérer sainement le conflit.
Soit
les griefs sont intenses, la confiance proche de zéro et dans
ce cas l'amour et le besoin de l'enfant parés du costume "
Intérêt de l'Enfant " deviennent les principaux moteurs
du conflit et dépassent et amplifient les autres griefs.
Ici,
un autre carrefour se présente qui a pour nom l'entourage et
la machine judiciaire.
Selon
l'influence plus ou moins positive de ceux-ci, le conflit peut avoir
des chances d'être géré plus ou moins sainement
au bout d'un certain temps ou au contraire s'amplifier jusqu'au paroxysme.
Conclusion
Cette
conclusion s'adresse à l'ensemble des personnes concernées
par le traitement des séparations.
Si
l'on prend comme objectif l'intérêt de l'enfant
1.
Ce n'est pas le développement des " savoirs " psychologiques
sur l'intérêt de l'enfant qui pourra aider à résoudre
les problèmes liés à chaque séparation particulière.
Ces savoirs n'ont, à notre avis, ni la compétence, ni
le " droit " de s'imposer (voire de faire violence) par rapport
à la responsabilité des parents dans chaque situation
particulière.
2. Il me paraît important de rendre aux parents le maximum de
responsabilité qu'ils peuvent prendre dans l'éducation
de leurs enfants et dans la gestion de la crise de séparation,
et donc aussi de la définition consensuelle de l'intérêt
de leurs enfants.
3. Si intervention extérieure il y a, il me paraît de la
plus haute importance pour l'intérêt de l'enfant (in fine)
que les différents intervenants dans la crise opèrent
chacun de leur côté ce retour optimal de la responsabilité
vers les parents, mais si possible (et c'est pour moi le mot clef) dans
la cohérence. Cette cohérence suppose un consensus sur
la délimitation de la sphère privée par rapport
à la sphère judiciaire.
Que
se soit par rapport à ses parents, à l'école, à
la justice ou à la société, l'enfant a besoin de
sentir que les actes et les pensées des adultes à son
endroit participent d'une cohérence minimale (rien n'est plus
perturbant pour un enfant que de se sentir visé par des manuvres,
intentions, ou décisions arbitraires, absurdes ou incohérentes
de la part d'adultes qui, de surcroît, lui veulent tous du bien).
Il
n'y a pas d'intérêt de l'enfant en soi ; il n'y a pas non
plus d'intervention extérieure magique ou idéale en soi.
On
ne peut espérer l'efficacité des différentes interventions
autour du couple en crise et de l'enfant que si ces interventions s'articulent
les unes avec les autres dans une relative clarté et cohérence.
Je
me suis surpris à rêver de l'existence d'un chef d'orchestre
qui susciterait cette cohérence (je sais que c'est utopique,
d'autant que cela ajouterait un intervenant).
Faute
de chef d'orchestre, j'émets le souhait que chaque intervenant,
chaque branche professionnelle fonctionne dans la plus grande clarté
et informe au maximum les autres intervenants de ses objectifs et de
ses démarches en évitant l'amalgame mais en recherchant
la complémentarité optimale. Je souhaite au passage que
les représentants du monde judiciaire puissent exprimer leur
vision, leurs attentes, leurs critiques par rapport à la médiation
familiale ainsi que le mode d'articulation optimale qu'ils envisagent
avec elle.
Note: Ceci est le texte d'une conférence que
j'ai donnée dans le cadre d'un colloque organisé par le
Barreau de Bruxelles le 14 septembre 1994 à Bruxelles sur le
thème de la Médiation familiale.
Les actes du colloque ont été publiés dans la Revue
de Droit familial ( Ed Larcier)
J'estime que 8 ans plus tard ces propos restent d'une brûlante
actualité puisqu'un futur projet de loi sur le divorce s'apprête,
dans l'intérêt de l'enfant, bien entendu, à renforcer
l'implication de l'enfant dans les procédures judiciaires . Cruelle
absurdité selon moi ! Quel est le pouvoir psy occulte qui est
à l'origine de cette idéologie à courte vue?
B. Van Dieren
Novembre 2002
Benoît
Van Dieren.
www.co-mediation.net