La
médiation, alternative à ne pas négliger
PIERRE-YVES MONETTE
Médiateur fédéral et professeur de règlements
alternatifs des conflits au Collège d'Europe.
Ancien avocat
Oui,
la justice est en panne et l'on constate une rupture de confiance de
la part du public. Mais pourquoi plutôt que de taper toujours
sur le même clou ne pas recourir à la médiation?
Depuis
plus de deux siècles, dans l'esprit de l'écrasante majorité
des gens, le recours au juge est la manière normale de résoudre
un conflit avec son voisin, son débiteur, son employeur, son
cocontractant ou l'administration. Il faut dire que l'organisation de
la Justice dans nos Etats démocratiques a succédé
à l'impunité et aux privilèges de l'Ancien Régime
et que les Cours et tribunaux, pierres angulaires de l'Etat de droit,
ont représenté dès la fin du XVIIIe siècle
le symbole même de l'égalité des droits. La justice
publique a remplacé la justice privée et les Cours et
tribunaux, pour la justice civile, de même que le Conseil d'Etat,
pour la justice administrative, se sont ainsi développés
comme d'efficaces garants de nos droits et de nos libertés.
Aujourd'hui cependant, la Justice est en panne. Pour preuve, la confiance
pour le moins hésitante que lui témoigne le justiciable
moyen, sans aucune mesure avec ce qu'elle était encore au milieu
du XXe siècle. Mais si d'évidentes défaillances
dans l'organisation de la Justice sont en partie responsables de cette
perte de crédit pour ne pas dire de cette rupture de confiance,
notre culture occidentale à "judiciariser" nos conflits
y est aussi pour beaucoup. En d'autres termes, nous attendons trop de
la Justice, présentée trop longtemps comme LA solution
à nos conflits, et avons oublié qu'une bonne partie de
ceux-ci peuvent être résolus de manière moins coûteuse,
plus rapide et tout aussi voire parfois même plus efficace.
A côté du recours au juge, mode classique de règlements
des conflits, existent en effet les modes alternatifs de règlements
des conflits ou M.A.R.C. (A.D.R. en Anglais pour Alternative Dispute
Resolutions) qui commencent timidement à se réapproprier
l'espace de justice. A côté de l'arbitrage ou de la conciliation
notamment, la médiation constitue une des facettes les plus riches
de cette "justice alternative". En Belgique, elle a fait son
apparition étonnement d'abord dans le secteur public, avec la
création au niveau fédéral comme régional
et communautaire de l'ombudsman ou médiateur chargé de
résoudre gracieusement les conflits opposant l'administré
à l'administration. Dans les conflits de droit privé par
contre, que ce soit en matière familiale, civile, sociale ou
commerciale, le recours à la médiation accuse un sérieux
retard si on compare la Belgique à certains pays anglo-saxons
comme le Canada par exemple. Là-bas, des époux ne peuvent
pas divorcer sans s'être d'abord présentés devant
un médiateur familial dont la mission est de les aider à
éviter que leur séparation n'envenime leurs relations
ni ne prenne leurs enfants en otage. Là-bas, le recours à
un médiateur commercial par deux entreprises en litige qui vont
ensuite faire officialiser leur "entente" par le juge est
monnaie courante. Là-bas, le licenciement d'un employé
s'accompagnera souvent de l'intervention d'un médiateur social
qui amènera l'employeur et l'employé à tomber d'accord
sur les conditions du licenciement. La médiation n'est donc pas,
loin s'en faut, une utopie mais représente déjà
pour des millions de gens une réalité tangible qui répond
à la demande moderne de résoudre ces conflits de manière
plus rapide, efficace, discrète, souple, économe et au
moindre coût humain comme financier.
Dans notre pays, la médiation pénale - à ne pas
confondre avec les peines alternatives qui constituent une des formes
de réparation que peut prendre l'accord sur lequel elle débouche
- a fait timidement ses premiers pas. Quant à la médiation
dans les litiges privés, elle n'en est aussi qu'à ses
premiers balbutiements. En matière familiale, une loi de février
2001 introduisant la médiation familiale dans le code judiciaire
attend toujours ses arrêtés d'application, nécessaires
notamment pour agréer les médiateurs! En matière
civile et commerciale, des propositions de loi ont été
déposées depuis plusieurs années et des groupes
de travail mis sur pied par différents ministres de la Justice,
sans résultats jusqu'ici. En matière sociale, la médiation
- à ne pas confondre avec la conciliation sociale dans les conflits
collectifs - est véritablement à l'état embryonnaire.
Pourtant, sur le terrain comme dans le monde académique, les
choses bougent. Des professeurs, des avocats, des notaires et d'autres
professionnels des conflits (criminologues, psychologues et assistants
sociaux notamment) se démènent pour développer
la médiation privée tant dans le processus judiciaire
qu'en marge de celui-ci. Ainsi en matière familiale, un nombre
croissant de médiateurs professionnels est formé et le
métier se structure véritablement. En matière civile
et commerciale, le B.B.M.C. (Brussels Business Mediation Center), qui
réunit les barreaux francophone et néerlandophone de la
capitale ainsi que la chambre de commerce et d'industrie de Bruxelles
dans un projet de promotion de la médiation et de formation de
médiateurs professionnels, comme le centre de médiation
du barreau de Liège constituent des initiatives marquantes.
Dans les universités, certains doyens ou professeurs intègrent
la médiation dans les programmes de cours, comme à la
faculté de droit de Liège ou à celle de Sciences
sociales et politiques de Louvain-la-Neuve. L'ordre des Barreaux francophones
et germanophone, davantage que son pendant flamand (O.V.B.), vante les
mérites de la médiation judiciaire. Même au sein
des Cours et tribunaux, des magistrats lancent des projets faisant la
part belle à la médiation. Ainsi dans les Cours d'appel
d'Anvers et de Mons, l'expérience québécoise de
juge-médiateur fait des émules et au Tribunal du travail
de Bruxelles, un projet pilote intègre la médiation sociale
dans certains dossiers de rupture de contrat de travail. Le Conseil
supérieur pour la Justice appelle lui aussi au développement
de la médiation judiciaire. Il n'y a pas jusqu'au Parlement où
l'on tient la médiation judiciaire en estime, à voir les
quatre propositions de loi déposées depuis ces derniers
mois, au-delà du clivage majorité/opposition (2). Autant
de raison de se réjouir. Mais le recours à la médiation
comme alternative au recours au juge ou son intégration dans
le processus judiciaire lui-même exigent tant des modifications
structurelles de la Justice qu'un changement de mentalité chez
les justiciables comme chez davantage de magistrats et d'avocats. Or,
seule une volonté politique se traduisant par l'introduction
dans le code judiciaire d'un chapitre nouveau consacré à
la médiation, par l'inscription d'une formation en médiation
dans le curriculum des magistrats et des avocats et par l'octroi, comme
aux Pays-Bas, d'un budget ad hoc pour inciter les justiciables à
recourir à la médiation, pourra amener à dépasser
le frémissement actuel et à inscrire véritablement
la médiation comme mode alternatif de règlement des conflits
dans le paysage belge.
Et l'espoir est permis puisque, lors d'un colloque au Parlement en décembre
dernier puis en commission de la Justice de la Chambre la semaine dernière,
la ministre de la Justice a annoncé que la médiation constituait
une de ses priorités. Faut-il préciser qu'au-delà
de la réponse que constitue la médiation à l'engorgement
des Cours et tribunaux et à l'accroissement de l'arriéré
judiciaire, elle représente, du moins pour un certain type de
litiges, une forme de justice plus humaine, moins douloureuse et mieux
adaptée tant il est vrai que deux ex-conjoints avec enfants,
deux entreprises en relation d'affaires ou deux voisins par exemple
sortent non seulement moins affectés d'une médiation que
d'un procès mais en outre davantage à même de continuer
sereinement leurs relations parentales, commerciales ou de voisinage.
(1) Pour une étude plus approfondie, voir notamment du même
auteur : De la médiation, comme mode de résolution de
conflits, et de ses différentes applications, in Administration
publique, n° 99/1, Bruylant, Bruxelles, 2000.
(2) Lois Fournaux, Giet et consorts, Lalieux et cons., Bacquelaine et
cons et de t'Serclaes.
© La Libre Belgique 2004 Mis en ligne le 24/01/2004